Homo — Sexualité en Afrique : du mythe à la réalité des origines
La question de l’homosexualité au Cameroun ramène vers une autre, plus générale, à savoir celle de l’essence d’une homosexualité en Afrique. Dans les divers et échanges, que ce soit dans les bars, les circuits, des carrefours au quartier jusqu’à nos plateaux de débats télévisés en passant par la presse écrite, l’on ne tarde pas toujours à interroger l’histoire des origines de cette sexualité dans le contexte africain. A ce sujet une idée reçue prospère : celle selon laquelle elle a été amenée en Afrique par les pays Européens, de la période d’esclavage à l’ère de la colonisation. L’homosexualité serait donc dans ce sens un produit issu de la présence occidentale en Afrique. En tant qu’idée reçue elle n’est suffisamment bien pensée, et ne rend pas amplement pas compte à la fois de l’histoire et de la réalité. Concernant la réalité, j’ai essayé d’apporter quelques précisions, notamment présentant les diverses formes de l’homosexualité. Sur le plan historique, il sera question de retracer l’origine de l’homosexualité au Cameroun, et plus globalement en Afrique.
Le mythe de l’influence occidentale
La curiosité humaine ne peut se satisfaire de ce qui est incomplet, absurde ou inconnaissable. Faute de mieux, nous inventons ce qui manque. Mais pourquoi? D’où vient ce penchant à créer des fables? Pour donner au monde une cohérence? Pour le contrôler?
Dans La Vallée tueuse, le journaliste néerlandais Frank Westerman se saisit de l’événement tragique qu’est la catastrophe du lac Nyoss du 26 août 1986, en analyse les circonstances puis s’emploie à séparer celles-ci des fables qui, au fil des ans, s’y sont confondues. Remontant la piste du mythe, il a mis du temps et énormément de patience pour écouter les voix qui ont interprété un incident selon leur conception du monde. De fait, tout épisode, au fil du temps, ploie sous le poids des narrations, subordonné aux mots et aux croyances. « Personne n’a jamais été témoin de la naissance d’histoires mythiques », relève Westerman. Cela « parce qu’elles étaient insignifiantes au départ, si insignifiantes qu’on ne soupçonnait pas en elles la moindre grandeur. » Et pourtant, grandeur il y a : elle se manifeste dans le potentiel imaginaire de la réalité.
L’ “imaginaire de la réalité”, c’est ce qui est le socle de nombre de pensées populaires. A défaut de connaitre réellement, et donc de pouvoir expliquer les choses tel qu’elles sont vraiment, preuves à l’appui, on les imagine, on invente des arguments plus ou moins cohérents qui donneront de notre point de vue plus de poids à nos affirmations. Il est constat similaire pour l’homosexualité. Dire qu’elle n’a pas d’origine africaine c’est manquer d’avoir interrogé l’histoire. Le mythe de l’origine occidentale de l’homosexualité vient grandement de ce que cette pratique n’a pas suffisamment suscité les questions d’une origine africaine par les africains même. Il ne resterait donc plus grand-chose de notre mémoire collective? Cela a même été fait, mais les réponses à ces questions ne sont pas l’information la plus répandue dans le monde. Je vais ici présenter trois raisons successives pour les lesquelles ce mythe en est bien un.
1- Un interdit qui date de bien avant le débarquement des Européens
Dans l’Afrique traditionnelle, toute relation sexuelle qui ne vise pas la reproduction est considérée comme déviante ou contre-nature. Ce type de relation n’honore pas ce pourquoi nos organes reproductifs nous été attribués par Dieu : reproduire la vie que nous avons reçue de lui. Et qui parle de reproduction induit de l’union entre un être mâle et un être femelle. L’homosexualité apparait dans ce sens comme contraire aux lois naturelles, à la reproduction de la vie, et donc n’est pas quelque chose de normal. Mais est-ce là un argument suffisant pour affirmer qu’il n’a pas existé en Afrique avant l’arrivée des Européens? Non. Car, l’homosexualité était connue, mais proscrite. Ce rejet est le premier élément attestant de son existence bien avant une quelconque présence des hommes de race blanche.
2- Cet interdit ne concerne pas la totalité des peuples africains
Des enquêtes et découvertes permettent d’affirmer sans l’ombre d’un doute que l’homosexualité est une pratique non tabou chez certains peuples africains. Cela se perçoit premièrement du fait que le concept et les termes relatifs à l’homosexualité existent dans les langues africaines. Le sociologue camerounais Charles Gueboguo s’est particulièrement intéressé sur le sujet, a exprimé et expliqué que plusieurs tribus africaines ont l’homosexualité comme une pratique courante, reconnue au sein de leurs groupes sociaux, et est désignée en des termes propres à ces groupes. Lisons donc :
C’est ainsi par exemple qu’en Angola dans le groupe ethnique dénommé Quimbandas, la sodomie était fréquente parmi les hommes, et les hommes ayant ces rapports sexuels avec les individus du même sexe étaient aussi désignés sous ce vocable : quimbandas. La spécificité de ce groupe ethnique était qu’ils avaient de tels rapports sexuels tout en étant habillés en femme. D’ailleurs l’une des figures la plus marquante parmi eux était le Ganga-ya-Chibanda, ou le grand prêtre, le superintendant des sacrifices rituels qui s’habillait comme une femme, même en dehors des offices religieux. Il marquait un point d’honneur à ce qu’on l’appelle : « la grand-mère ». Vu sa position sociale, tout ce qui pouvait être considéré comme un écart de conduite venant de lui était toléré par le groupe .
Chez les Wawihé, constructeurs du haut plateau du Bangalla (toujours en Angola), l’homosexualité se confondait à la bisexualité et était désignée omututa 35 qui signifie précisément l’activité ou la passivité dans la pratique du sexe anal (paedicatio). La masturbation mutuelle très répandue chez ceux qui avaient des rapports sexuels, avec des personnes de l’autre sexe, aussi bien que chez ceux qui en avaient avec les individus du même sexe étaient désignée et continue de l’être par le terme okulikoweka, littéralement terme qui renvoie aux rapports sexuels male-male ou femelle-femelle. Le coït interfemoral y était aussi fréquent et connu sous le terme de otjizenja. Ce terme fait également référence au coït interfemoral dans un rapport hétérosexuel. La masturbation solitaire ou okukoweka était regardée socialement avec beaucoup de dédain. Dans une relation homosexuelle suivie entre deux partenaires, les deux amoureux étaient connus sous le nom eponji (aponji en est le singulier, donc l’amoureux d’un homme parce qu’il est différent du mot mukuetu, qui désigne plutôt la camaraderie ou un ami avec lequel il n’ y a pas de relation sexuelle).
Dans la région Est des Wawihé, les eponji sont désignés parmi les Ovigangellas (ou Gangellas ou encore Ovagandjera) : m’uzonj’ame. L’expression Katumua k’ame traduit également la même réalité et signifie mot à mot « ma fille », et par extension « mon amoureuse ». Le coït interfemoral était traduit par m’ahanda et l’est encore jusqu’à nos jours chez les Wawihé. La digitatio ou kuzunda est un type particulier de masturbation mutuelle où les glands des pénis sont frottés les uns aux autres.
Le Cameroun n’échappe pas à ce constat. Le chercheur révèle ainsi que la pratique de l’homosexualité est courante chez les Bafia. Les adolescents pénétraient sexuellement les plus jeunes, et cela était appelé ji’gele ketön.
La pratique chez les Bafias nait du fait que les jeunes garçons et les jeunes filles sont éduqués séparément, avec l’interdiction de se côtoyer. Le développement de l’individu au sein de cette société, de même que dans d’autres, se fait en étapes. La première incluait les individus de six ans jusqu’à quinze ans. Les garçons de cette classe sociale, dormaient ensemble, jouaient ensemble et les plus grands pénétraient parfois analement les plus jeunes comme le montrent certains auteurs, notamment K. Falk, dans“Homosexuality among the Negroes of Cameroon and a Pangwe tale” (1921) :
« La première étape semble inclure la promiscuité commune entre les jeunes, qui peut être observée parmi les autres tribus noires, tout en étant aussi regardée par les adultes comme un jeu d’enfant. Cette promiscuité prévalente consiste en des relations étroites entre garçons et filles, et entre garçons et garçons (…) Le rôle passif est joué par les garçons Bafia de cinq ou six ans avec leur frère aîné. »
Autant les garçons se faisaient des attouchements, autant il en était de même pour les filles car il leur était interdit d’avoir des relations sexuelles avec le sexe opposé avant un certain âge, afin qu’elles restent vierges. C’est la raison pour laquelle l’homosexualité était beaucoup plus répandue parmi les jeunes, les garçons entre eux, et les filles entre elles. Cela se faisait en cachette, comme pour signifier que ce n’était pas correct. Mais voilà, il apparait curieux pour ces jeunes de se cacher avec à l’esprit que cela n’est pas normal. L’interdit pour les jeunes garçons et jeunes filles de se fréquenter n’était pas propre à une génération, celles d’avant la connaissent, et ont très certainement connu cette période d’attouchements entre personnes de même sexe. En effet, la séparation des filles et des garçons visait à préserver la virginité des filles, et non à l’homosexualité. On pourrait questionner dans ce sens la nécessité de s’en cacher, probablement parce qu’à la base la pratique est recouverte d’un grand tabou, sinon est marquée par un interdit. Tout au moins, elle devait relever de la loi du silence. Hypocrisie culturelle ? Déni de groupe ?
3- Une pratique présente dans les rites initiatiques
L’homosexualité était présente dans certains rites initiatiques en Afrique, qui marquaient par exemple le passage de l’âge adolescent à l’âge adulte. Nous prendrons une fois de plus l’exemple au Cameroun. Lisant J-P Ombolo, “Sexe et société en Afrique, l’Anthropologie sexuelle beti”, on trouve ceci :
Au Cameroun, le « Mevungu » chez les Beti et le « Ko’o » (l’escargot) chez les Bassa étaient des rites qui comprenaient des attouchements entre femmes ayant un caractère hautement homosexuel. D’après ses adeptes, le mevungu était présenté comme la « célébration du clitoris et de la puissance féminine ». Ce rite exclusivement féminin « comportait des danses qui, parfois auraient mimé le coït et dans lesquelles les initiées ménopausées auraient joué le rôle masculin ».
Dans un autre sens, on la pratique pour devenir riche. Ailleurs, chez les Bantous parlant le Fang au Gabon, au Cameroun ou en Guinée Equatoriale par exemple (le groupe Pahouin), les relations homosexuelles étaient perçues comme le médicament pour être riche. Cette richesse était transmise du pédiqué (celui qui se fait sodomiser), vers le pédicon (celui qui sodomise), dans une relation pénio-anale. Ceci ne vous rappelle rien? Ca rejoint pas mal les mots sur l’homosexualité par opportunisme dans le deuxième article de cette série. Sauf que dans ce sens, celui qui pense devenir riche en « donnant de ses fesses » est plutôt exploité. La chose a des allures plutôt métaphysiques. Le genre de choses qui nous est difficile a expliquer, faute de plus de connaissances.
Il n’aura donc pas fallu attendre l’arrivée des Blancs pour que se vive tout cela. Quoique ce soit eux, qui ont mené les premières études sur le sujet et démontre que l’homosexualité est bien présente en Afrique. Ceci nous amène à autre chose. Le constat par eux fait de l’existence de cette pratique en Afrique les aura poussé à la combattre. Précisons que la domination européenne en Afrique s’est faite sous le prisme du christianisme, qui était à ce moment une religion fortement homophobe. Elle avait donc en horreur l’homosexualité, et a contribué, dans les ethnies où cela se pratiquait, à son éradication de sorte que l’on ne se rappelle quasiment plus que quelque part, à un moment, dans telle ou telle ethnie, on la pratiquait. Les Européens ne pourraient ainsi pas objectivement être ceux qui ont contribué à répandre l’homosexualité en Afrique, car ils ont, dès leur arrivée ici au 15e siècle, combattu cela, ceci en grande partie sous l’influence de l’Eglise. Il aura fallu atteindre les années 1970 pour voir monter une vague de tolérance à l’égard de l’homosexualité, soit pas très longtemps après les Pactes de 1966, et la vague de droits-libertés établie par des déclarations et traités internationaux éponymes. L’Eglise elle-même, aux dernières nouvelles, n’échappe pas à cette pratique, ou encore à d’autres à l’instar de la pédophilie. Un travail d’enquête remarquable a d’ailleurs été fait par le journaliste Français Frédéric Martel à ce sujet ; travail dans lequel il présente comment l’homosexualité prospère dans l’Eglise catholique. Prospère car c’est un fait indéniable à la lecture de ses développements. Pour en savoir plus il faut vous procurer le dernier numéro du journal Le Point qui a fait tout un dossier dessus, ou alors le livre « Sodoma » de Frédéric Martel qui a inspiré ce dossier.
Une réalité non loin des origines au final
Tout ce qui se dit aujourd’hui sur l’homosexualité n’est qu’un relent, non pris dans sa globalité, d’une des manières dont on la concevait à l’heure où le colon pénétrait encore l’Afrique. Le fait que de nos jours il soit mal vu relève tout d’abord des considérations des traditions, mais aussi de l’apport du christianisme qui est venu conforter cette position réfractaire à l’homosexualité. Les hommes qui extirpent la “lumière” des plus jeunes en les sodomisant existaient en Afrique bien avant que la notion de pédérastie sectaire soit rendue populaire par Foly Dirane. Rien de bien contemporain, rien d’exclusivement européen, l’homosexualité a existé de tout temps, en tout lieu, mais de manière différente. Elle n’est pas ce qu’elle était en Grèce. Pareil pour la France où les homosexuels étaient vus comme des malades mentaux jusqu’en 1981. Si influence les Européens ont eu, ce n’est pas dans le fait de pratiquer, mais plutôt de s’affirmer comme homosexuels. Et là encore, la pilule passe mal car l’homosexualité n’est pas d’une acceptation absolue, non plus majoritaire dans tous ces pays. Ici, chez nous, le combat mené contre elle demeure féroce. Comprendre cette pratique permettra-t-il d’avoir un meilleur avis sur le sujet? Pas vraiment, car l’homophobie actuelle est la continuité de préceptes enseignées depuis des millénaires. Peut-être, elle ferait tempérer l’intensité des animosités suscités par le sujet : “qu’ils vivent ça sans me toucher, qu’ils vivent ça entre eux” dira l’homophobe modéré. De toute manière, l’homophobie demeure la norme, et cela n’est pas prêt de changer de sitôt.