Suis-je dépressif?

Ludovic Baluro
10 min readMay 22, 2019

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J’écris parce que les épreuves m’ont inspiré…

Grand Corps Malade

Il y a cette crainte qui apparaît à l’instant où l’on veut s’ouvrir par le biais de quelques mots, que ce soit sur un papier, sur un écran, ou alors de vive voix à un alter-ego. La crainte de se montrer vulnérable, faible, fragile. La crainte de subir une intrusion trop grande dans son jardin secret, rempli de fleurs pas toutes jolies et resplendissantes. L’on redoute de se mettre à nu, de révéler le vrai soi, de se révéler tel qu’on ne nous connait et nous imagine pas; sous une forme étonnante mais pas nouvelle, probablement inquiétante, triste et alarmante. C’est ce que nous sommes en partie, dans le fond, mais que nos mines n’ont jamais montré. C’est ce que nous sommes, en faits, en actes, en sentiments et en émotions. J’aimerais tellement présenter cette facette de moi à tout le monde sans me poser de questions; intégralement. C’est difficile car douloureux et quelque peu gênant.

J’y arriverai bien un jour, c’est aussi le moyen pour moi de me faire face, de me confronter : moi et mes lacunes, mes insuffisances, et bien sûr mes doutes. C’est que les mots ne manquent jamais. Il y a toujours à dire. Ce qui se fait absent sont la volonté et le courage de le dire, le courage étant un prolongement fort de la volonté. Ca demande de la force, de la confiance ; aussi bien en soi qu’en ceux qui liront ou écouteront ce qui te pèse dans le coeur. La vie ne te fait pas de cadeau, tu le gardes pour toi, afin de ne gêner personne. Tu gères toi-même, tant que tu peux, et même lorsque tu ne peux pas. À l’instant où j’écris ces mots se lève une odeur très nauséabonde, celle de la fiente de mon frère aîné qui, apparemment, est allé remplir les toilettes de son désordre gastrique sans chasser ce qu’il y a à chasser après. L’odeur est tellement forte qu’elle se fout pas mal de s’il y a une porte ou un plafond. Il aura fallu que je sorte de ma chambre, le croise dans le couloir, lui, debout, comme si ce qu’il a fait est normal ; et moi, irrité, qui lui dit d’un geste d’aller me chasser ses ordures de là où elles sont posées. J’ai désormais l’estomac qui se noue, quel traumatisme !

Cela n’est qu’infime par rapport à tout ce qu’il y a à dire. Ca, c’était à vrai dire une situation quasi normale dans le monde de fous qui est le mien. “Fous” à prendre dans le sens littéral du terme. Je prends le temps d’exprimer ce que j’ai à exprimer, car le courage nécessaire, je pense, y est.

08 mai 2019

La dépression, en soi et autour de soi

« Comme souvent avec la bâtisse qu’est mon esprit, l’inspiration y est entrée par effraction ; à priori, un processus inconscient ; à postériori et à la lumière de mon prochain discours, ce n’est peut-être pas un hasard. Il est hélas toujours ardu d’identifier les causes immédiates et/ou lointaines qui nous poussent à avoir une attitude, à élaborer et exprimer une pensée. Les concepts d’intra et d’intersubjectivité prennent à cette occasion tout leur sens ; je suis en pleine interaction, lucide ou pas, avec moi-même et avec mon environnement, que je me dois de dépeindre sommairement. »

Eric K. Bamzok

Le sujet m’a d’emblée porté à cœur parce qu’il est manifeste dans mon entourage. Certains se l’avouent et me l’avouent, d’autres font semblant et miment le déni. Je pense en être victime. Je n’en suis pas certain, car ce malaise constant me possède la plupart du temps quand j’ai les poches vides. Avoir de l’argent serait donc la palliatif de ma dépression? A bien y réfléchir, non. C’est net ce qui me permet de mieux tenir face à tout, sans toutefois fois permettre de m’en débarrasser. Cherchant à mieux comprendre ce que je ressens et ce qui se passe dans ma tête, je me tourné vers autrui. Merci Jack d’avoir créé Twitter.

J’ai cherché — une fois de plus — à voir mon reflet en lui. Au cours de ma petite vie menée sur terre j’ai rencontré des personnes à bout de souffle, exténuées, embêtées par la vie qu’elles mènent.

Les raisons sont rarement les mêmes, mais à l’origine de leur crise il y a un ou plusieurs faits générateurs. Et chacune de ces personnes gère sa dépression à sa manière. Pour certains, la meilleure façon de gérer ça est de ne pas gérer : mimer l’indifférence, vivre dans le déni, ne pas du tout en parler, vivre avec. C’est le cas de Shina. J’aurais voulu qu’elle m’en dise plus, mais la meuf a fait sa Racky : elle m’a parlé de sa situation, de comment elle la vit, mais pas de ce qui en est la cause. Tout ce qu’elle a pu me dire est que c’est de sa faute, qu’elle se sent — voire se sait responsable — de ce qui s’est passé. Quoi? Je n’en sais rien. sa réticence à épiloguer dessus laisse comprendre que c’est grave. Elle n’en parle pas ou très peu, ne réclame pas d’aide de quiconque, mais par contre se montre présente pour les autres. Elle a horreur de gestes empathiques et affectifs à son égard. C’est typique du loup solitaire, de Ken le survivant. C’est la froideur qui masque une grande peine et une immense douleur. Agir pour le bien des autres sans rien leur demander serait donc son repentir? Probablement. Mais cette attitude a fini par être mal interprétée. Comment? J’en sais rien. Les gens s’attendent toujours à ce qu’on leur demander quelque chose à retour. Lorsqu’on ne le fait, ils pourraient finir par trouver ça louche. Genre “c’est le moukouagne?”. Rires. On attend forcément autre chose de la reconnaissance, la satisfaction d’avoir pu aider autrui.

« Etant dans cet état j’ai plutôt tendance à repousser les marques d’affection et d’empathie à mon égard. Je vais toujours bien. Je réconforte tout le monde autour de moi et je ne veux pas qu’on s’inquiète pour moi. Ça ne m’aide pas à aller mieux. Ça me renferme encore plus. Je suis toute seule. Je vis toute seule. Je m’auto-gère de la façon la plus solitaire qui soit. Je déteste demander de l’aide et je ne le fais pas. Il y a des fois ou je croyais bien faire en étant toujours là pour les autres même quand j’étais au plus mal, mais les intentions ont été mal vues et depuis peu j’ai coupé les ponts de manière temporelle. »

Contrairement à Shina, Ébène n’a pas eu de difficulté à s’ouvrir sur les causes de sa dépression. Ça semble être plus facile d’un cas à l’autre, selon la situation et les circonstances. A l’origine, une relation fracassante, à l’issue de laquelle elle s’est rendue — enfin — compte que les personnes de son entourage ne sont pas celles qu’elle croyait. Fakes, toxiques, ce genre de chose… cette dernière expérience fut la goutte d’eau, elle ne pouvait donc qu’ouvrir les yeux et se prendre mieux main : décider de qui est bien pour elle.

— Et comment tu as fait pour te sortir de là ?

— J’ai essayé de trouver la vraie racine de ma dépression. Pourquoi je pense que j’ai pas le droit d’être heureuse ? Pourquoi ci pourquoi ça ? Ensuite, il s’agissait de rectifier le tir en quelques sortes. Par exemple, je me suis rendue compte que je vivais pour les autres. Je me suis peu à peu focalisée sur moi et sans rien attendre des autres. C’était difficile mais ça m’a aidé. La méditation aide aussi. J’aurais voulu voir un psy, mais la liste d’attente était longue… Une chose non négligeable : sortir de l’environnement qui m’a "rendue malade ".

— Ton dernier point est excellent. Tu as changé de fréquentations? Adopté de nouvelles habitudes?

— Les deux, mais surtout les fréquentations. J’ai même changé de ville, de numéro de téléphone. Une vraie reprise à zéro.

— Wow. Plutôt radicale, mais ça t’a fait du bien au final.

— Un bien fou. J’étais dans une petite ville où tout le monde se connaît. J’etouffais.

Je pourrais continuer avec un troisième cas, mais il rappellera assez le premier. Allez, faisons ça !

L’art de la fugue, l’art de l’esquive… Le vide !

Je ne suis pas certain que l’on puisse, dans ce cas-ci, parler de dépression, mais ce qu’elle a pu dire exprime qu’elle ressent un vide permanent, un mélange de tristesse et de mélancolie qui ne la quitte pas. Elle ne présente pas ça comme une carence affective. Elle se sent seule parce que peu comprise. Sur les causes, elle a tourné en rond, ou pas. Elle m’a semblé fuyante, évoquant par ci un traumatisme familial, et par là son certain manque de confiance en autrui.

Solitude, oui parfois. Provenant de la sensation d’etre peu comprise.
Traumatisme familial, oui.
Mais je ne me suis jamais vraiment plongée sur l’origine precise de cette tristesse. J’ai plutôt cherché à vivre avec.

Elle admet avoir un problème, mais avoue n’avoir jamais réfléchi sur les causes. Surtout, elle considère que les personnes qui ressentent ce qu’elle ressent sont capables de la comprendre, et être la seule à pouvoir régler son cas. Prendre sur soi, c’est la meilleur solution, encore et toujours car il y a à un moment une sorte de lassitude de n’avoir jamais personne à ses côtés de façon permanente qui puisse l’écouter et la comprendre. Une personne qui l’aide à chasser ses frustrations, à remonter la pente, à combler nos vides et nos absences. Un psy peut-être? Rires.

— Je me suis souvent dit que je verrai un Psy plus tard. Parler peut soulager mais à court terme. Et je n’ai pas envie de me servir de quelqu’un pour combler un vide. C’est une responsabilité trop lourde. Pour moi, le meilleur moyen est d’apprendre à vivre en paix avec soi même. Bien que ce ne soit pas chose facile.

« Il faut se méfier des gens qui sont vides en eux, ils se servent des autres pour se remplir en appelant ça de l’amour. »

Baloji , l’art de la fugue - le vide, 137 Avenue Kaniama, 2018.

Le danger que constitue les personnes qui sont vides en elles est que, en voulant combler leur vide, elles finissent par vider les autres de leur énergie. C’est plutôt correct de sa part de ne pas vouloir se servir de quelqu’un pour ça. Et, je pense, c’est l’état d’esprit qui anime nombre de gens comme elle et Shina : présents pour aider, absents pour se faire aider. Et si un jour de l’aide ils reçoivent, c’est très certainement de personnes qui sont comme eux, et savent ce qu’ils ressentent.

— Mais tu ne te dis pas que parfois cette sensation va remonter en surface et qu’il te faudra absolument partager avec quelqu’un? C’est comme vivre avec un démon en permanence, vu que tu n’arrives pas à t’en défaire.

— Si... Je me le dis souvent, mais bon…

— Je pense surtout au gars qui probablement un jour partagera sa vie avec la tienne. Tes silences et tes bizarreries pourraient mal passer à ses yeux si tu veux tout garder pour toi.

— Généralement quand j’entame une relation, je clarifie certaines choses dont cet aspect fait parti. Parce que lorsqu’on se retrouve en "période basse" on n’a pas forcement envie de parler à quelqu’un. Il faudrait que cette personne puisse se souvenir de ce que je lui ai dit pour savoir comment agir et quand je serai prête à parler. Sinon c’est peine perdue et la relation est vouée à l’échec.

— Difficile compromis… 🤔

— J’en suis consciente.

Ce qu’elle ignore peut-être, ou pas, c’est que je l’ai comprise ; elle et ses ressentiments. La dépression peut découler d’un malheur ou d’une absence, voire des deux ; de situations qui nous font s’évaluer de manière permanente avec à l’esprit l’idée amère selon laquelle l’on ne connaitra jamais le bonheur car seul ce qui est désolant nous entoure. C’est probablement tout ce qu’on voit, c’est probablement tout ce qu’on se permet de voir, occultant ainsi toute occasion, toute opportunité de voir autrement que le verre vide au ¾.

« Elle se sent incomprise par moi.. nous ne sommes pas sensibles de la même manière. »

D’un dernier échange, avec un garçon cette, il ressort que l’incompréhension ressentie chez l’autre n’en n’est pas vraiment une. Il s’agit en particulier d’un décalage émotif, qui fait en sorte que l’on comprenne autrui sans pour autant envisager les mêmes solutions que lui quant à comment gérer sa situation de dépression. Il en déduit ainsi ayant comme proche une personne dépressive.

Elle a une peur panique de choses qui m’effraie sans plus. Si elle me dit "fuyons" et que je lui dis "non, tu peux", elle en deduis que je ne comprends pas sa peur, alors que j’estime que sa fuite ne resoudra pas le problème. Du coup, je sais que je la comprends. Mais je n’ai pas l’empathie necessaire pour partager sa peur au point de vouloir fuir avec elle. Et parfois c’est ce que les gens veulent : un soutien inconditionnel dans leur irrationalité. ☝🏾

Quant à cette dernière phrase, on pourrait parler d’hystérie, de déni, de fictions, de l’évitement de ce qui est là tant redouté : la vérité, la réalité, le chaos. Le chaos c’est tout ce qui reste une fois que les illusions tombent. Ma foi, on ne devrait pas en avoir peur, il devrait plutôt rassurer. Pourtant, c’est ce que l’on redoute le plus, on préfère tout enfouir, fuir, mettre des barrières que d’assumer et de faire face. Cette voie n’est pas celle de la facilité, pas vraiment. La prendre exprime à quel point il peut être extrêmement difficile de faire autrement. Le mental. C’est quand on devient plus fort que l’on comprend.

Nous sommes le 22 mai 2019. La nuit tombe et je questionne mes tourments. Le calme plat, dans l’ombre, au plus près de mes démons, j’observe la vie d’un oeil perplexe, le regard rempli de doutes. Que vais-je faire pour m’en sortir? Y a-t-il quelque chose à faire d’ailleurs? Les réponses à mes questions se trouvent en moi, je suis ma propre solution, me chuchote une voix dans mon oreille droite. Au plus bas, je côtoie la dépression semble-t-il. Au moins les autres le savent en sont sûres. Elle est peut-être là, je n’en suis pas certain ; parfois éclipsée par quelque moment de joie sous le joug de l’éthanol 🍻, ou par l’amour tout simplement. Qu’importe ce que c’est, il faudra soit l’abattre, soit vivre avec.

Dans les hauteurs de mont des Béatitudes, Oyom-Abang.

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Ludovic Baluro

Je parle de tout, pour que cela n'ait plus l'air de rien.